Congés imposés aux agents publics en période de crise sanitaire

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Congés imposés aux agents publics en période de crise sanitaire - Ordonnance du 15 avril 2020 n°2020-430

Par Laëtitia LEPERS DELEPIERRE,

Avocat au Barreau de Lille

SCP GROS HICTER & associés

L’ordonnance du 15 avril 2020 n°2020-430 est venue préciser les modalités de prise de congés ou jours de réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et fonction publique territoriale.

Ce texte permet aux chefs de service d’imposer aux agents de l’Etat la prise de congés pendant la période de crise sanitaire et jours de réduction du temps de travail.

La particularité du texte est évidemment son caractère partiellement rétroactif, largement contesté par les agents et leurs syndicats mais également la possibilité d’imposer d’office aux agents des congés annuels et jours de réduction du temps de travail (dits RTT).

 

Il y a lieu de différencier les situations pour comprendre les implications de l’ordonnance :

  • Les agents mobilisés en présentiel au titre du plan de continuité de l’activité ne sont pas visés par cette ordonnance.

 

  • Les fonctionnaires et agents contractuels de droit public de la fonction publique de l'Etat, les personnels ouvriers de l'Etat ainsi que les magistrats de l'ordre judiciaire en autorisation spéciale d’absence : il s’agit ici des agents en isolement ou dans l’impossibilité de faire garder leurs enfants de moins de 16 ans, ou encore les agents dans l’impossibilité de réaliser le télétravail mais ne pouvant pas être réaffecté au titre du plan de continuité d’activité.

Ces agents en autorisation spéciale d’absence, doivent, au titre de l’article 1er de l’ordonnance, prendre dix jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels dans la période du 16 mars au 24 mai 2020 dans les conditions suivantes   :

  • Cinq jours de réduction du temps de travail entre le 16 mars 2020 et le 16 avril 2020 de façon rétroactive ;
  • Cinq autres jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels entre le 17 avril 2020 et le terme de la période définie au premier alinéa, à savoir à ce jour le 24 mai 2020.

 

Dans l’hypothèse où l’agent ne disposerait pas de cinq jours de réduction du temps de travail, il est alors contraint de prendre, un ou plusieurs jours de congés annuels entre le 17 avril 2020 et le terme de la crise sanitaire, dans la limite totale de six jours de congés annuels.

 

S’agissant des jours à prendre de façon non rétroactive, c’est-à-dire à compter du 17 avril 2020, le chef de service précise les dates des jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels à prendre en respectant un délai de prévenance d'au moins un jour franc.

Il est précisé par le texte que le nombre de jours de congés imposés est proratisé pour les agents exerçant leurs fonctions à temps partiel.

 

  • Pour les fonctionnaires et agents contractuels de droit public de la fonction publique de l'Etat, les personnels ouvriers de l'Etat ainsi que les magistrats de l'ordre judiciaire en télétravail : le texte ouvre la possibilité pour le chef de service d'imposer aux agents de prendre cinq jours de congés annuels ou RTT entre le 17 avril et la fin de l’état d’urgence sanitaire, à savoir à ce jour le 24 mai 2020.  Le délai de prévenance d’un jour franc par le chef de service précisant les jours est identique au cas précédent.

 

  • Pour les agents en maladie : l’article 5 de l’ordonnance précise que le chef de service peut réduire le nombre de jours de réduction de temps de travail ou de congés annuels imposés au titre des articles 1er, 2 ou 4 pour tenir compte du nombre de jours pendant lesquels la personne a été placée en congés de maladie pendant la période définie au premier alinéa de l'article 1er et de l'article 2. En d’autres termes, les agents ayant été placé en congé maladie sont également concernés par la mesure mais les jours de congés ou RTT imposés peuvent être réduits.

 

  • Pour les agents publics relevant de la fonction publique territoriale, l’ordonnance permet à l’autorité territoriale de faire application des modalités de prises de congés et RTT selon les modalités précisées, mais il ne s’agit là que d’une possibilité, laissée à l’appréciation de l’autorité territoriale en application du principe de libre administration des collectivités locales.

Il est précisé que les fonctionnaires et agents contractuels de droit public occupant des emplois permanents à temps non complet sont assimilés à des agents publics à temps partiel.

 

  • Les agents relevant de la fonction publique hospitalière ne sont pas concernés par ce texte.
  • Les agents des corps soumis à des obligations de service ne sont pas concernés  (on pense essentiellement aux enseignants). 

 

 

L’ordonnance précise en son article 3 que les jours de RTT imposés peuvent l’être parmi ceux épargnés sur le compte épargne temps de l’agent, et que les jours de congés imposés ne peuvent être pris en compte pour l’attribution de congés complémentaires au titre du fractionnement des congés annuels.

 

 

Cette ordonnance a été vivement contestée par les agents publics de l’Etat, et notamment au regard du caractère rétroactif de la mesure pour les agents en autorisation spéciale d’absence, mais également du fait de la fixation unilatérale des jours de congés et RTT.

 

L’ordonnance a d’ores et déjà donné lieu à plusieurs recours contentieux.

A ce jour, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur un référé liberté diligenté par FO, par ordonnance en date du 27 avril n°440150.

Le syndicat requérant  justifiait de l’urgence à raison du placement en congé d’office des agents dès le 18 avril 2020 et alléguait d’une « atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et au droit au repos et aux loisirs des agents publics en ce qu’elle permet aux chefs de service de placer d’office leurs agents en congés annuels à des dates qu’ils fixent unilatéralement, excédant ainsi l’habilitation qui a été conférée au gouvernement »

Le Conseil d’Etat a rejeté un tel moyen, considérant finalement que les modalités de fixation unilatérale de congés relève du domaine du règlement et non du domaine de la loi.

L’ordonnance du 15 avril 2020 était explicitement fondée sur les dispositions de l’article 11 de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 en vertu desquelles :

«I. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution :

1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : […]

 b) En matière de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit de la fonction publique ayant pour objet :

[…]

- de limiter les ruptures des contrats de travail et d'atténuer les effets de la baisse d'activité, en facilitant et en renforçant le recours à l'activité partielle pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, notamment en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre, en l'étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l'employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre, en favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel ;

- d'adapter les conditions et modalités d'attribution de l'indemnité complémentaire prévue à l'article L. 1226-1 du code du travail ;

- de permettre à un accord d'entreprise ou de branche d'autoriser l'employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d'une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise de ces congés définis par les dispositions du livre Ier de la troisième partie du code du travail et par les conventions et accords collectifs applicables dans l'entreprise ;

- de permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique ; »

Force est de constater que le législateur a donc autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relatives à la décision unilatérale de jours de réduction du temps de travail exclusivement, et non des jours de congés annuels des agents publics.

 

Le juge des référés va toutefois implicitement effectuer une substitution de base légale, l’habilitation ne pouvant constituer le fondement légal de la possibilité d’imposer aux agents publics de l’Etat les congés d’office.

 

Alors qu’il reconnait que seul le législateur est compétent, au titre de l’article 34 de la Constitution pour fixer les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires, et ainsi d’instituer les différents droits à congés des fonctionnaires civils et militaires, le Conseil d’Etat considère que les autres éléments du régime de ces congés, et notamment la possibilité de ne pas tenir compte des  demandes de l’agent à raison des nécessités du service, ne relèvent pas du domaine du législateur.

En conséquence, le Gouvernement pouvait décider de telles mesures, même sans habilitation du Parlement.

 

Le juge des référés n’apporte que peu de précisions sur la compétence du Président de la République pour signer un tel acte.

On rappellera qu’au titre de l’article 13 de la Constitution « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres », et le Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire « sous réserve des dispositions de l’article 13 », selon l’article 21 de la Constitution.

Le juge administratif avait déjà confirmé à plusieurs reprises la compétence du Président de la République pour signer de telles mesures réglementaires à raison de leur délibéré préalable en Conseil des Ministres (CE, Ass., 10 septembre 1992, Meyet, Rec. 327).

 

En conséquence, le fait d’imposer des congés d’offices aux agents publics ne relevait pas de la compétence du législateur, l’habilitation n’a donc pas pu être méconnue puisque le fondement légal de la compétence de l’auteur ne relevait pas de l’article 11 de la loi d’habilitation s’agissant des congés. 

 

D’autres recours restent à venir à l’encontre de cette ordonnance, et notamment sur la question de la rétroactivité d’une partie de ses dispositions mais également sur la question de fond.

En effet, on conclura en rappelant que si les congés doivent être pris en fonction des nécessités du service et peuvent à ce titre être refusés par le chef de service, le juge administratif avait eu l’occasion de juger qu’aucune « disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'autorisent l'administration à placer d'office un agent en congé annuel, y compris pour des motifs tirés de l'intérêt du service »  (CAA Versailles, 6ème chambre, 13 mars 2014, n°13VE00926).

Il ne fait nul doute que ce fondement réglementaire permettant à l’administration d’imposer à l’agent de prendre des congés d’office donnera lieu à d’autres décisions intéressantes du juge administratif.

 

Publié le 30 avril 2020