La limitation du nombre de lots pouvant être attribués à un même candidat est-elle contraire aux dispositions du Code des marché

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Quelle fut ma surprise, lorsque souhaitant candidater à un marché public de prestations d'assistance, de conseils juridiques, et de représentation en justice, j'ai constaté que le pouvoir adjudicateur avait tout simplement expressément indiqué dans l'avis d'appel public à la concurrence et le règlement de la consultation, que les candidats ne pouvaient présenter une offre que pour ... un seul lot !

Une telle mention n'a pas manqué d'attirer ma curiosité, et nécessitait à l'évidence une analyse succincte de la question pour connaitre la légalité d'une telle limitation, avant même de se porter candidat.

I. Les raisons de l'interrogation

A première vue, à mon sens, interdire aux candidats de présenter une offre pour autant de lots qu'ils souhaitent, pourrait être jugé comme contraire aux principes énoncés par le Code des marchés publics, et notamment celui de la liberté d'accès des candidats à la commande publique.

Plus encore, cette interdiction, semble également contraire à l'esprit même de l'article 10 du code des marchés publics qui pose en principe la division en lots séparés, afin de « susciter la plus large concurrence », ce qui n'est pas le cas dés lors que le nombre d'offres reçues par lot sera de facto réduite, alors même que certains candidats auraient été tout à fait en mesure de répondre à plusieurs d'entre eux. Dans ces conditions, on peut douter que le pouvoir adjudicateur, retienne une offre qui puisse véritablement être considérée comme économiquement la plus avantageuse. C'est d'autant plus surprenant qu'en principe, lorsque le marché est alloti, les offres ainsi présentées sont examinées lot par lot (CE, 10 mai 2006, Req. n°288435, Société Schiocchet), donnant naissance à des marchés distincts. On voit mal par exemple, un pouvoir adjudicateur interdire à un candidat de soumissionner à un marché global, parce que l'entreprise aurait candidaté à un autre de ses marchés, même s'il faut évidemment concéder que le lien est plus étroit entre lots.

Néanmoins, après réflexion, la limitation du nombre de lots, ne peut être considérée comme totalement dénuée de fondement, et d'effets positifs. En effet, lorsque l'identification de prestations distinctes est possible, la division en lot a justement pour principe de permettre à toute entreprise, quelque soit sa taille, d'accéder à la commande publique.

En d'autres termes, l'allotissement, au-delà de susciter une plus large concurrence, permet également aux petites entreprises d'obtenir des marchés qu'elles ne pouvaient espérer emporter dans le cadre de marchés globaux.

Finalement, la limitation du nombre d'offres n'a pas un objet différent, en ce qu'elle permet à chacun de se partager « la part du gâteau », sans qu'une entreprise pourvue de l'ensemble des compétences puisse s'accaparer le tout au détriment des autres. Sur un plan pratique également, cette solution trouve un réel intérêt, l'acheteur public pouvant souhaiter se prémunir de l'éventuelle défaillance d'une entreprise titulaire de plusieurs lots qu'elle ne pourrait exécuter simultanément.

La réponse à cette question n'est donc pas aussi évidente qu'il y parait, et l'analyse de la jurisprudence et de la pratique montre à cet égard que la position tenue par le pouvoir adjudicateur en l'espèce, tend à être acceptée.

II. L'acceptation au moins implicite de la limitation du nombre de lot

Il est admis, sans que cette position soit discutée, que rien n'interdit d'attribuer plusieurs lots, voire tous les lots à une même entreprise (CE, 9 décembre 1994, Req. n°144269, Préfet des Vosges / Commune de Châtel-sur-Moselle), de même que le pouvoir adjudicateur ne peut contraindre les candidats à présenter une offre pour chacun des lots du marché, y compris en le mentionnant dans les documents de la consultation (CE, 1er juin 2011, Req. n°346405, Société Koné).

Ces positions tiennent d'une certaine logique, puisque dans le second cas par exemple, la division en lots n'aurait en réalité aucun effet. Contraindre les candidats à présenter une offre pour chacun des lots du marché aurait en effet dans ce cas quasiment la même portée que la passation d'un marché global, seule les entreprises de grandes tailles, disposant des moyens techniques, logistiques, économiques, professionnels, ... nécessaires pour ce faire, ce qui contreviendrait à l'esprit de l'article 10 du Code des marchés publics, les petites entreprises renonçant à présenter leurs offres, ne serait-ce que par l'impossibilité de le faire pour un seul de ces lots.

S'agissant de notre interrogation, l'insertion d'une disposition permettant à la personne publique de limiter le nombre de lots pouvant être attribués à une entreprise avait été envisagée dans le passé, notamment dans le cadre de la phase de rédaction du code issu du décret de 2001. Cette idée avait finalement été abandonnée, ce qui n'atteste cependant pas de son rejet en pratique. Au contraire, la circulaire du 14 février 2012 relative au Guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics, comme avait pu le faire autrefois d'autres circulaires ou instructions pour l'application du code des marchés publics, précise que le pouvoir adjudicateur peut interdire, dans l'avis d'appel public à la concurrence ou les documents de la consultation, à un même candidat de présenter une offre sur plusieurs lots.

Un arrêt Préfet de l'Essonne donne à cet égard des indications particulièrement intéressantes (CAA Versailles, 22 février 2007, Req. n°05VE01994, Préfet de l'Essonne). Les candidats qui ont soumissionné pour plusieurs lots peuvent être invités en cours de procédure, à confirmer qu'ils seraient en mesure, le cas échéant, d'exécuter simultanément les prestations prévues pour ces lots, sans que soient méconnus ni le principe d'égalité de traitement, ni les dispositions de l'article 10. C'est d'ailleurs sur cet arrêt que les rédacteurs de la circulaire se sont appuyés pour porter une telle affirmation.

En outre, cette possibilité semble avoir été implicitement confirmée par le droit communautaire. Le règlement d'exécution (UE) n°842/2011 de la Commission du 19 août 2011 établissant les formulaires standards pour la publication d'avis dans le cadre de la passation de marchés publics et abrogeant le règlement (CE) n°1564/2005, exigent, en effet, que l'acheteur public précise, en cas d'allotissement du marché, si les candidats peuvent présenter une offre pour un lot, plusieurs lots ou pour l'ensemble des lots (Avis de marché standard, rubrique II.1.8).

Les jugements ou ordonnances des tribunaux administratifs ne sont donc pas surprenants lorsqu'ils indiquent que ni l'article 10 du Code des marchés publics, ni aucune autre disposition n'interdit de limiter à un nombre de lots susceptibles d'être attribués à un même candidat, à condition toutefois, que cette limitation ait été prévue dans les documents de la consultation, et que la limitation soit justifiée par l'objet du marché (par exemple : TA Montreuil, 12 janvier 2010, Req. n°08-13049, Bernard P. et a. ; TA Cergy-Pontoise, 24 avril 2001, Req. n°99-94 et 99-97, Préfet Seine-Saint-Denis ; Ta Cergy-Pontoise, 23 janvier 2001, Req. n°99-08558, Préfet Seine-Saint-Denis ; TA Lyon, 13 décembre 2001, Préfet Région Rhône-Alpes / Courly).

Pour autant, il sera précisé qu'une entreprise ne devrait pas pouvoir être écartée dés le stade de la candidature parce qu'elle aurait présenté un nombre d'offres supérieur à celui autorisé. Le rejet devrait se réaliser au stade de l'examen des offres, car non conforme aux documents de la consultation, encore que dans ce cas, cela pose une difficulté supplémentaire lorsque par exemple une entreprise qui a agit de la sorte est jugée économiquement la plus avantageuse au titre de plusieurs lots. Laquelle de ses offres doit être retenue ?

A ce titre, une ordonnance du Tribunal Administratif de Bordeaux, certes isolée, s'écarte de la jurisprudence traditionnelle, en pointant cette difficulté et l'atteinte au principe de libre concurrence qu'elle risque d'engendrer, rejoignant ainsi l'analyse initiale, encore qu'à la différence de la situation examinée, il n'y avait non pas une limitation du nombre d'offres auquel les candidats pouvaient candidater mais sur le nombre d'attribution de lots à une même entreprise :

« cette limitation n'est pas sans influence sur les diverses attributions de lots, aucun ordre d'attribution des lots n'étant fixé, ce qui conduit à évincer ou à retenir de manière aléatoire un candidat arrivé deuxième ; que cette limitation doit ainsi être regardée comme un critère d'attribution indirect, non prévu comme tel dans l'avis d'appel public à la concurrence et dans le règlement de consultation ».

Par conséquent, malgré le fait qu'elle semble majoritairement admise sous conditions, la question de la légalité de cette limitation, demeure à mon sens légitimement ouverte.

 

Le 29 novembre 2012

Publié le 29 novembre 2012