Au titre des articles L 131-1 et L 131-2 du code des communes et du respect de l'ordre public, les maires des Communes de Morsang sur Orge et d'Aix en Provence, avaient interdit, par arrêtés respectivement des 25 octobre 1991 et 23 janvier 1992 l'organisation de concours de "lancers de nains" que la société Fun Productions devait produire dans des discothèques situées sur le territoire des deux communes.
Ces arrêtés ont été annulés par les tribunaux administratifs de Versailles et de Marseille au motif, pour le premier, d'un défaut de circonstances locales particulières justifiant une telle interdiction et pour le second, d'une absence d'atteinte à la dignité de la personne humaine. L'Assemblée du contentieux a par la suite annulé ces deux jugements en estimant que le lancer de nain constituait une attraction ou un spectacle qui "par son objet même (...) porte atteinte à la dignité de la personne humaine; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait dès lors, l'interdire même en l'absence de circonstances locales particulières et alors même que les mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération."
Ces arrêts ne semblent pas avoir la portée « de principe » attendu.
La définition de l'ordre public avait été établi par l'arrêt Benjamin (CE, 19 mai 1933) qui acceptait l'interdiction, au titre de la police, d'activités susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, à la condition que le désordre moral craint puisse avoir pour conséquence un désordre matériel. Les deux arrêts de 1995 rompent avec l'aspect matériel de la définition, mais cet abandon de la stricte conception matérielle de l'ordre public avait déjà été amorcé auparavant. En effet, l'arrêt Société les films Lutétia, en 1959, avait ouvert la possibilité pour un Maire « d'interdire sur son territoire la représentation d'un film (...) dont la projection est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou à raison du caractère immoral dudit fil et de circonstances locales, préjudiciable à l'ordre public". Cette formulation ne pouvait laisser de doute sur l'abandon d'une conception strictement matérielle de l'ordre public, l'immoralité « locale » étant nécessairement subjective.
Dans les arrêts de 1995, en estimant que "le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte à la dignité de la personne humaine", la Haute Assemblée semble revenir à la conception Lutétia. En effet, elle semble admettre que même en l'absence de risques de troubles matériels et de circonstances locales, l'ordre public puisse être menacé et préservé par l'autorité locale. C'est ainsi à nouveau le refus explicite d'une stricte conception matérielle de cet ordre public.
D'autre part, ces arrêts se refusent à faire une appréciation locale de la moralité publique, puisqu'il a été admis depuis longtemps en jurisprudence que les autorités locales pouvaient remettre en cause l'admission ou la permission des autorités nationales, quand les circonstances locales l'exigent. Cette conception a évolué et dès l'arrêt Ville d'Aix en Provence de 1985 la moralité n'est plus regardée comme dépendant du lieu de projection. L'arrêt démontre ainsi une certaine désuétude de l'immoralité, comme composante des critères d'appréciation de l'ordre public et la moralité n'est plus regardée comme dépendant des circonstances locales. Ainsi, avant même les deux arrêts Morsang sur Orge et Aix en Provence de 1995, la Jurisprudence ne retenait plus la possibilité d'une appréhension locale de l'immoralité.
Enfin, au sujet de la dignité de la personne humaine, le double arrêt énonce que "le respect de la dignité humaine est une des composantes de l'ordre public, que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine." Mais l'on ne s'aurait intégrer cette obligation de respect de la dignité de la personne humaine dans aucune composante de l'article L131-2 du code des communes. Il semble donc que la notion d'ordre public permette d'incorporer des buts de police non expressément visés par le texte. On peut comprendre que le juge ait considéré que le lancer de nain était une activité de spectacle portant atteinte à la dignité de la personne humaine mais au delà, de l'intérêt même de l'activité, celle-ci pose une réelle question de la subjectivité de l'appréciation prétorienne. Avec l'appréciation souveraine des juges, est-on sûr de détenir le jugement représentatif de l'ordre social ?
C'est ce à quoi l'article tente de répondre, par une analyse jurisprudentielle de l'évolution de la définition de l'ordre public.
Pour plus d'informations, merci de vous reporter à « Composantes jurisprudentielles de la notion d'ordre public - note sous CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang sur Orge et Ville d'Aix en Provence (deux arrêts), Manuel Gros RDP, 1996, p. 536