Ordonnance 1106059 du tribunal administratif de Lille 15 novembre 2011 DEUDON/fédération française de motocyclisme.
Pilote professionnel de motocross réputé dans les épreuves d'enduro de plage, pour le compte de l'écurie Kawasaki, Monsieur Yves DEUDON, le 7 février 2010,remportait l'épreuve « moto » de l'enduropale du Touquet, compétition de niveau mondial.
Toutefois, en application du règlement, la moto numéro deux qu'il pilotait faisait l'objet de contrôles sonométriques, qui conduisaient le jury de l'épreuve à lui infliger une pénalité de 15 minutes, qui le rétrogradait à la sixième place et le privait d'un titre de niveau mondial, en violation flagrante du droit, comme il sera démontré.
Cette décision de lui infliger une pénalité de 15 minutes était prise à 18:00. À 18:30, l'exposant déposait réclamation à l'encontre de cette décision et demandait le bénéfice d'un nouveau contrôle. Par une décision du 7 février 2010, prise à 19:15, le président du jury, rejetait sa réclamation.
Rétrogradé en 6ème position alors qu'il avait remporté cette compétition de niveau mondial et respectueux des règles précontentieuses en matière sportive, l'exposant saisissait le tribunal national de discipline et d'arbitrage le 17 février 2010. Le tribunal confirmait la décision du jury.
Le coureur saisissait alors la cour d'appel nationale, laquelle se réunissait le 3 septembre 2010, et confirmait elle aussi la décision du jury
Conformément aux dispositions des articles L 141-4 et R 141-5 du code du sport, l'exposant saisissait le comité national olympique et sportif français, cette procédure constituant un préalable obligatoire à tout recours devant les tribunaux de l'ordre administratif.
Le conciliateur proposait À M. Yves DEUDON « de s'en tenir à la décision contestée ». Par le canal de son conseil, l'exposant manifestait son opposition à proposition du conciliateur, dans le délai d'un mois imparti par la réglementation. Le président de la conférence des conciliateurs accusait réception le 11 février 2011.
Le coureur saisissait le tribunal administratif de Lille d'une requête en annulation de cet ensemble décisionnel, devant la menace de perdre son label de coureur officiel, saisissait le juge des référés d'une demande de suspension.
Se posait à titre préliminaire la question du laps de temps entre la saisine du juge au fond (et la saisine du juge des référés)
Le requérant est un pilote professionnel de l'écurie Kawasaki : lorsqu'il a saisi le juge de l'excès de pouvoir, son équipementier a pensé sans doute que l'affaire serait jugée dans les mois suivant la saisine du juge.
On précisera que l'enduro du Touquet et d'une compétition annuelle, qui se déroule donc tous les 12 mois, avec une phase de préparation de plusieurs mois.
C'est donc en ce moment (automne 2011) que se prépare activement l'enduro de février 2012.
C'est la raison pour laquelle la société Kawasaki écrivait au requérant pour lui indiquer en substance qu'à défaut de solution rapide sur la question du classement de l'enduro 2010, sa carrière, ces contrats et notamment le renouvellement de son contrat 2012 serait remis en cause.
Les termes de ce courrier étaient clairs:
« (...) Afin de préparer au mieux la saison 2012, nous allons étudier les contrats dans les mois qui viennent. C'est pourquoi je reviens vers vous concernant le différend qui vous oppose la fédération française de motocyclisme concernant votre déclassement de l'édition 2010 de l'épreuve de l'enduropale du Touquet qui se traite actuellement devant un tribunal civil. Vous n'êtes pas sans savoir que l'issue de ce procès conditionne les termes ainsi que le renouvellement nouveau contrat de la saison 2012 vous liant à Kawasaki France (...) »
C'est donc la menace nouvelle d'un non-renouvellement de contrat professionnel qui contraignait le requérant à utiliser désormais la procédure d'urgence du référée suspension.
Le juge des référés suivait sans doute ce raisonnement en ne sanctionnant pas comme démontrant l'absence d'urgence le fait que le coureur émis six mois avant de faire une procédure de référé.
Pour autant, y avait-il réellement urgence au sens de la jurisprudence ?
l'urgence proprement dite en l'espèce :
La condition relative à l'urgence est aujourd'hui réputée satisfaite “lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant, ou aux intérêts qu'il entend défendre” et il appartient au juge des référés “saisi d'une demande tendant à la suspension d'une décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue” (CE, 19 janv. 2001, n° 228815, Conféd. nat. radios libres : Juris-Data n° 2001-061706 ; RFD adm. 2001, p. 378, chron. M. Guyomar et P. Collin, concl. L. Touvet).
Le principe est celui de fonder l'urgence sur le risque de créer des "situations difficilement réversibles" (CE, 27 juill. 2001, n° 230231, Cne Tulle : JurisData n° 2001-062828 ; Collectivités-Intercommunalité 2001, comm. 294 ; BJDU 2001, n° 5, p. 381, concl. D. Chauvaux ; Constr.-Urb. 2001, comm. 236 ; Mon. TP 16 nov. 2001, p. 107. - CE, 24 oct. 2001, n° 230691, SCI Serart com. et a. : JurisData n° 2001-063072. - CE, 21 déc. 2001, n° 237133, Sté Fun music Center et a. :
Au cas particulier du droit sportif, l'urgence dépend en fait beaucoup du régime juridique du sportif .
S'il n'y a pas d'urgence pour un club sportif à demander la suspension d'une sanction disciplinaire de retrait de points au classement d'un championnat dès lors que cette sanction n'a pas modifié ses résultats, ni sa situation sur le plan sportif, et n'a pas eu de conséquences financières significatives:( E 15 oct. 2008, Féd. fr. de football, req. no 316312: RJ éco. sport 2008, no 89, p. 36, obs. F. Lagarde.), présente en revanche un caractère d'urgence justifiant la mise en oeuvre d'une procédure de référé suspension la décision de rétrogradation d'un arbitre à l'échelon régional, dès lors que cette mesure va priver l'intéressé des substantielles indemnités versées aux arbitres de football de haut niveau, qu'elle est de nature à affecter le montant de son indemnité de fin de carrière et qu'elle l'expose à une relégation définitive au niveau régional ( TA Paris, réf., 14 févr. 2011, Boillin: req. no 1100912.).
En raison des effets immédiats sur la carrière du sportif sanctionné, les décisions de l'AFLD peuvent également faire l'objet d'un référé-suspension devant le Conseil d'État au titre de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative. (CE, 25 avr. 2002, n° 245378. - CE, 26 juin 2003, n° 257422. - CE, 30 avr. 2004, n° 266214. - CE, 29 juill. 2004, n° 269405 : JurisData n° 2004-067297. - CE, 14 févr. 2006, n° 289378 : JurisData n° 2006-069985. - CE 27 mars 2006, n° 291072,).
Et même dans une ordonnance récente, le juge des référés a admis que du fait de l'imminence d'une compétition internationale, la condition d'urgence était remplie (CE, ord. 22 mars 2010, n° 337285). Pourtant dans la même affaire, en statuant au fond, le Conseil d'État a validé la sanction prise par l'AFLD (CE, 25 mai 2010, n° 332045 : JurisData n° 2010-007393). Ainsi, pour les sportifs professionnels, le fait de ne pas pouvoir participer à une compétition caractérise de manière suffisante l'urgence (CE, ord., 26 juin 2003, n° 257422).
Toutes ces conditions jurisprudentielles en pleine évolution paraissaient satisfaites en l'espèce :
-Le coureur est un coureur motocycliste professionnel de niveau mondial, notamment sur sable.
-Son déclassement de sa place de vainqueur de la plus grande épreuve mondiale d'enduro sur sable a des conséquences considérables sur le déroulement de sa carrière.
- Cet état de fait lié au temps normal d'une procédure au fond conduisent son équipementier (la société Kawasaki) à envisager de ne pas le renouveler dans son contrat dès 2012 si la solution judiciaire n'est pas trouvée.
Il est en effet impossible pour un coureur motocycliste de concourir de façon compétitive dans une épreuve internationale de ce niveau sans être pilote officiel d'une grande écurie : dans ces conditions la perte ou la suspension du « label » pilote officiel d'une écurie, avec tout ce que cela comporte (impossibilité d'avoir un une moto prototype compétitive, un accompagnement de mécanicien professionnel de compétition, absence de logistique..) prive l'intéressé de toute possibilité de défendre réellement son niveau dans les autres compétitions à venir.
Or le prochain enduro du Touquet est en février 2012, et coureur comme écurie professionnelle doive entamer leur préparation dès l'automne 2011.
Enfin, financièrement, pour le coureur, l'absence de label officiel le prive non seulement des primes de l'écurie (KAWASAKI) mais aussi des primes, contrat, ou équipements liés au fait d'être pilote officiel. D'une écurie reconnue
Or l'appréciation jurisprudentielle moderne de l'urgence est la suivante : l'urgence justifie la suspension de l'acte lorsque l'exécution de celui-ci porterait atteinte de façon grave et immédiate à un intérêt public à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre .
Dans ces conditions l'urgence à suspendre la décision attaquée paraissait établie.
Pourtant, de façon étonnante, l'ordonnance du juge considérait qu'il n'y avait pas urgence en les termes suivants :
« en tout état de cause, la décision contestée n'a pas pour effet de faire par elle-même obstacle à la participation de M. de dont à de nouvelles compétitions et que les pièces produites devant le juge des référés et notamment l'attestation faite par le responsable de la compétition or ou de la société Kawasaki France, ne suffisent pas à établir l'existence d'une situation d'urgence... »
Une faute plus, l'appréciation de l'urgence révèle un grand pouvoir d'appréciation de la part du juge.