A une époque où les droits liés à l'environnement sont présentés comme des droits de la «troisième génération » et où il est de bon ton de tout permettre au nom de la « conciliation », il n'est pas « juridiquement correct » de réfléchir sur l'antagonisme suggéré en titre. Pourtant la sanctuarisation juridique des principes issus du droit de l'environnement - érigés en «sur-droits » - ne serait pas sans effet sur les autres droits. Par un phénomène de vases communicants, chaque création d'un sur-droit atteint un autre droit, plus ancien et moins « à la mode ». Cette évidence d'un monde juridique équilibré où les droits subjectifs s'opposent nécessairement (les parents adoptifs et l'enfant adopté, l'afficheur politique et le propriétaire du mur, etc.) mérite un examen plus approfondi.
La première atteinte aux droits de l'homme engendrée par les principes environnementaux concerne le droit de propriété théoriquement absolu (art. 544 du code civil). Or par définition les principes environnementaux sont contradictoires de l'exercice absolu du droit de propriété, en imposant au propriétaire des sujétions. Cette atteinte est de principe mais elle n'est pas principale, car elle n'est pas réellement spécifique au droit de l'environnement : les atteintes successives à ce droit de propriété en ont fait un droit mineur en comparaison des intérêts collectifs. Ce processus a sans nul doute précédé le droit de l'environnement.
La deuxième catégorie d'atteinte est partielle mais aussi partiale et concerne deux vieilles libertés, l'une intemporelle (liberté d'aller et venir) l'autre très « XIXe siècle » (liberté du commerce et de l'industrie) ainsi que deux droits fondamentaux du XXe siècle (travail et progrès). Le droit des installations classées est ainsi une atteinte permanente à la liberté du commerce et de l'industrie. La liberté d'aller et venir subit du droit de l'environnement une entrave partielle permanente. Il s'agit d'atteintes partielles car le droit laisse toujours une liberté s'exprimer (piétonne ou cycliste, ou celle des transports collectifs) mais partiale (seulement piétonne, etc.) ! Le droit au travail est contredit par les principes de développement durable, de décroissance rationnelle, d'économie des ressources, qui sont nécessairement un frein au plein emploi.
La troisième atteinte, que nous appréhenderons à titre d'hypothèse ou de question comme principale, concerne la liberté d'opinion et d'expression. Comment se fait-il que dans notre société, qualifiée parfois de « droit de l'hommiste » - au sens Térencien (« summum jus summa injuria ») - les atteintes précitées ne soient pas relevées et violemment critiquées ? L'idée serait qu'il existerait une pensée unique environnementale, une sorte « d'environnementalement correct », qui interdirait aujourd'hui de remettre en cause le principe de précaution ou de critiquer le «développement durable ». Juridiquement, ces critiques sont possibles, mais pragmatiquement ? Les candidats (aux grands concours, aux élections, à une « carrière»...) pourraient-il développer des thèses « déviationnistes » en matière environnementale ? Il est vrai que les droits de l'homme sont à l'origine individuels et que le droit de l'environnement est à l'origine... collectif ! Il y a donc contradiction évidente entre ce droit-ci (collectif voire collectiviste) et ces droits-là (individuels voire individualistes). Alors pourquoi ce paradoxe n'est-il ni affirmé ni même ressenti ?
Une explication plus rassurante que celle d'une atteinte à la liberté d'expression est peut-être dans le constat que les droits de l'homme auraient évolué et connu - avec le temps - une acception collective et que la contradiction n'existe qu'entre environnement et « anciens » droits de l'homme, mais que si l'on s'interroge sur la convergence entre environnement et «nouveaux» droits de l'homme, il n'y a alors aucune contradiction, à tout le moins apparente !
Manuel Gros, AJDA, 3 mai 2004, n° 17, p. 897