De l'importance du respect du formalisme de la résiliation en l'absence de faute du titulaire : l'exemple du CCAG-PI

Les conflits opposant pouvoirs adjudicateurs et organismes économiques dans le cadre des marchés publics ne se limitent pas à la procédure de passation de ces marchés et des risques de contentieux liés aux recours exercés par les tiers intéressés, entendus au sens spécifique à chacun de ces recours.

L'épuisement des voies de recours ouverts aux tiers évincés d'un marché public, tels que le référé précontractuel (article L.551-1 et suivants du Code de Justice Administrative), le référé contractuel (article L.551-13 et suivants du Code de Justice Administrative), ou encore le recours en contestation de la validité du contrat dit « recours Tropic Travaux » (CE, Ass., 16 juillet 2007, Req. n°291545, Société Tropic Travaux Signalisation), outre la possibilité d'exercer un recours indemnitaire, ne met pas fin aux contentieux liés au contrat.

En effet, bien plus que les tiers, le contrat intéresse avant tout les parties, et son exécution est une, voire la source principale de contentieux. Face à la complexité croissante des relations contractuelles et des enjeux en cause, notamment financiers, il est nécessaire d'une part de sécuriser le marché, en le rédigeant de telle manière d'en assurer la bonne exécution, mais aussi pour la personne publique de disposer de moyens lui permettant de mettre fin au contrat à tout moment. En effet, outre une éventuelle erreur sur le choix du titulaire du marché, qui peut ne pas présenter toutes les garanties escomptées ou le professionnalisme attendu, des aléas de différents ordres, même politiques ou budgétaires par exemple, peuvent survenir en cours d'exécution.

Si désormais les documents particuliers des marchés publics, notamment le cahier des clauses administratives particulières, et souvent par référence aux cahiers des clauses générales particulières, prévoient quasi systématiquement les cas de résiliation, encore faut-il que les dispositions régissant leur mise en oeuvre soient respectées. Un formalisme particulier est à respecter, qui au-delà de l'exigence de bonne foi, voire de loyauté des relations contractuelles dont le débat a récemment été relancé et mis sur le devant de la scène par l'arrêt Commune de Béziers (CE, 28 déc. 2009, Req. n° 304802, Commune de Béziers) et ses suites (CE, 12 janvier 2011, Req. n°338551, M.Manoukian ; CE, 12 janvier 2011, Req. n°334320, Société Léonce Grosse), constitue un impératif pour les collectivités territoriales soucieuses d'éviter tout contentieux ultérieur dont les conséquences financières pourraient s'avérer beaucoup plus importantes.

Aussi contraignant qu'elle puisse paraitre, l'exigence du respect de la forme et des conditions imposées par les différents CCAG, concoure à préserver les intérêts de l'administration. L'exemple des résiliations en l'absence de faute du titulaire en dehors des cas particuliers prévus par ailleurs, en application du CCAG-PI en est une bonne illustration.

Le CCAG-PI issu du décret n°78-1306 du 26 décembre 1978, applicable pour les marchés qui s'y réfèrent et conclus avant l'entrée en vigueur du nouveau CCAG-PI issu de l'arrêté du 16 septembre 2009 publié au JORF le 16 octobre 2009, prévoyait en son article 35-1 que « La personne publique peut, à tout moment, qu'il y ait ou non faute du titulaire, mettre fin à l'exécution des prestations avant l'achèvement de celles-ci, par une décision de résiliation du marché, notifiée dans les conditions du 4 de l'article 2 ».

Dans ce cas, l'article 36 du même CCAG est applicable : « 36.1. Lorsque la personne publique résilie le marché, en tout ou partie, sans qu'il y ait faute du titulaire et en dehors des cas prévus à l'article 39, elle n'est pas tenue de justifier sa décision. Elle délivre une pièce écrite attestant que la résiliation du marché n'est pas motivée par une faute du titulaire, si ce dernier le demande.

Le titulaire est indemnisé dans les conditions prévues au 2 du présent article ».

A ce titre le 2° de l'article 36 précisait quant à lui que : « Sauf stipulation particulière du marché, le décompte de liquidation comprend :

a) Au débit du titulaire :

- le montant des sommes versées à titre d'avance, d'acompte, de paiement partiel définitif et de solde ;

- la valeur, fixée par le marché et ses avenants éventuels, des moyens confiés au titulaire que celui-ci ne peut restituer, ainsi que la valeur de reprise des moyens que la personne publique cède à l'amiable au titulaire ;

- le montant des pénalités.

b) Au crédit du titulaire :

1° La valeur des prestations fournies à la personne publique, savoir :

- la valeur contractuelle des prestations reçues, y compris, s'il y a lieu, les intérêts moratoires ;

- la valeur des prestations fournies éventuellement en application du 3 de l'article 35.

2° Les dépenses engagées par le titulaire en vue de l'exécution des prestations qui n'ont pas été fournies à la personne publique, dans la mesure où ces dépenses n'ont pas été amorties antérieurement ou ne peuvent pas l'être ultérieurement, savoir :

- le coût des matières et objets approvisionnés en vue de l'exécution du marché ;

- le coût des installations, matériels et outillages, réalisés en vue de l'exécution du marché ;

- les autres frais du titulaire se rapportant directement à l'exécution du marché.

3° Les dépenses de personnel dont le titulaire apporte la preuve qu'elles résultent directement et nécessairement de la résiliation du marché.

4° Une somme forfaitaire calculée en appliquant au montant hors T.V.A., non révisé, de la partie résiliée du marché, un pourcentage fixé par le marché ou, à défaut, égal à 4 p. 100.

Lorsque les conditions imposées par les différents articles précités (articles 2.4, 35 et 36) n'ont pas été suivies, le titulaire du marché écarté de fait est en droit de réclamer devant le juge la somme forfaitaire qui devait lui être allouée conformément au 4° de l'article 36-2. Le CCAG-PI fixait le pourcentage à 4%. Néanmoins, comme il y est indiqué, le marché pouvait prévoir un taux différent. Outre le fait que le juge administratif confirme la nécessité de respecter ces dispositions, l'intérêt réside surtout dans la mise en jeu de la responsabilité de l'administration. La personne publique qui se serait aventurer à mettre fin aux relations contractuelles en l'absence de faute du titulaire, sans respecter le formalisme des dispositions du CCAG ou CCAP applicable, commet une faute. Par exemple, la simple résiliation par décision du conseil municipal sans être suivi de son exécution ne saurait être suffisante.

Ainsi, en sus de la somme forfaitaire normalement due par application des dispositions contractuelles, le cocontractant de l'administration aura le droit à l'indemnisation de la perte de bénéfice ou de son manque à gagner. En effet, le cocontractant a par exemple pu exposer des frais en vue de son exécution, et ce pendant plusieurs années, celui-ci pouvant raisonnablement croire qu'il demeurait lié contractuellement et donc titulaire du marché.

Enfin, entre la date de résiliation de fait, que le juge administratif devra déterminer à partir des éléments qui lui sont soumis, et la date de jugement, et plus encore en cas d'appel, un lapse de temps important s'est écoulé, donnant lieu au versement d'intérêts au taux légal, à la fois sur la partie forfaitaire de la partie résiliée, mais aussi sur le manque à gagner.

Les juges du fond se sont déjà prononcés sur ce point à plusieurs reprises. Pour un exemple illustrant :

« Considérant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que par un « ordre de service préliminaire » en date du 28 avril 1999, l'OPAC de Paris a ordonné à la société Pascal de réaliser les travaux préparatoires du chantier ; que l'OPAC s'est ensuite abstenu, en dépit de la demande formulée par l'entreprise dans sa lettre du 23 août 1999, de prendre une décision de nature à fixer la société Pascal sur ses intentions à l'égard de la poursuite de l'exécution du marché ; qu'en incitant ainsi la société à exposer des frais en vue de l'exécution d'un marché puis en s'abstenant d'en poursuivre l'exécution, l'OPAC a, ainsi que l'a reconnu à bon droit le tribunal administratif, commis une faute de nature à engager sa responsabilité envers la société ; que la résiliation de fait ainsi prononcée par l'OPAC ouvre droit, au profit de la société Pascal à laquelle aucune faute n'est imputable, à l'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis y compris la perte de bénéfice » (CAA de Paris, 22 mai 2007, n°05PA02534, OPAC Paris / Bourguignon et Guyot co-liquidateur de la société Pascal).

En conclusion, les résiliations « sauvages » ou de fait sont évidemment à proscrire. Afin de s'éviter des frais supplémentaires, les personnes publiques devraient s'évertuer à ne pas laisser leurs marchés dans des situations ambigües. Cette jurisprudence devrait vraisemblablement toujours être applicable aux marchés faisant référence au nouveau CCAG-PI. En effet, même si celui-ci ne semble plus permettre les résiliations sans justification, et ajoute l'exigence d'invoquer un motif d'intérêt général , l'esprit est le même. L'article 29 stipule ainsi que « La décision de résiliation du marché est notifiée au titulaire. Sous réserve des dispositions particulières mentionnées ci-après, la résiliation prend effet à la date fixée dans la décision de résiliation ou, à défaut, à la date de sa notification », et l'article 33 prévoit toujours que « Lorsque le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 % ».

Gauthier GAVEL

Juriste

SCP Manuel GROS, Héloïse HICTER, et Associés

 

Le 24 novembre 2011

Publié le 24 novembre 2011